Walter Salles : « Le Brésil n’a pas encore tranché avec ses années de dictature »

Cet article est une interview de Walter Salles, réalisateur brésilien, à propos de son nouveau film, « Je suis toujours là ». Ce long-métrage, inspiré d’un livre autobiographique, explore le traumatisme de la dictature militaire brésilienne (1964-1985) à travers le récit d’une famille. Salles établit un parallèle entre le passé dictatorial et la montée récente de l’extrême droite au Brésil, soulignant la persistance des séquelles du régime et la fragilité de la démocratie. L’entretien détaille le processus créatif du film, y compris le choix des acteurs et des techniques cinématographiques, ainsi que le succès rencontré auprès du public brésilien.

  1. Quel est le contexte historique du film « Je suis toujours là » ? Le film se déroule pendant la dictature militaire au Brésil, qui a sévi de 1964 à 1985. Il suit la famille de l’ex-député de gauche Rubens Paiva, arrêté par des hommes armés, et les épreuves qu’ils traversent par la suite. Cette période est caractérisée par une répression politique, des violations des droits humains et une absence de transparence quant aux actions du gouvernement. Le film explore la manière dont cette période sombre a affecté la vie quotidienne des citoyens et leurs luttes pour la justice et la vérité.
  2. Quels sont les thèmes principaux abordés dans le film ? Le film explore plusieurs thèmes clés, notamment l’impact de la dictature sur les familles, la lutte contre l’injustice, la résilience et la résistance face à l’oppression, la mémoire et la transmission des traumatismes, ainsi que les séquelles psychologiques et sociales de la dictature sur le Brésil contemporain. L’accent est mis sur la trajectoire de la mère, Eunice Paiva, et sa quête de vérité concernant la disparition de son mari. Le film présente aussi la façon dont les jeunes générations héritent de ce passé et luttent pour le comprendre.
  3. En quoi le film est-il considéré comme une œuvre personnelle pour le réalisateur Walter Salles ? Walter Salles explique que la maison où se déroule une partie du film est une maison qu’il fréquentait durant son adolescence, une maison de Rio pleine de vie. Cette connexion personnelle avec le lieu et la famille Paiva donne au film une dimension émotionnelle particulière. En outre, il cherche à mettre en lumière les liens entre le passé de la dictature et les enjeux du Brésil actuel, notamment la montée de l’extrême droite. Le film est donc un reflet de sa propre expérience et un examen de la société brésilienne à travers le prisme de cette tragédie familiale.
  4. Comment le film aborde-t-il la question de la mémoire et de l’absence ? Le film utilise des ellipses brutales et des silences pour laisser au spectateur l’espace nécessaire pour compléter l’histoire. Cette approche souligne l’absence et l’incertitude qui ont marqué cette période. La mémoire est abordée à travers les bribes de souvenirs du réalisateur, les souvenirs de la famille, les images d’archives, et le livre de Marcelo Rubens Paiva, qui raconte son processus de deuil et de compréhension de la tragédie. La résistance d’Eunice, en cherchant la vérité pour son mari, est également une forme d’honorer sa mémoire.
  5. Quel rôle joue le personnage d’Eunice dans le récit ? Eunice Paiva est le personnage central du film. Elle incarne la dignité et la force face à l’adversité. Après la disparition de son mari, elle se bat sans relâche pour découvrir la vérité et s’assurer que la mémoire de Rubens ne soit pas oubliée. Sa décision de devenir avocate et sa persévérance face aux obstacles illustrent sa détermination et sa résistance. Elle est présentée comme une figure emblématique de la lutte pour la justice et la dignité dans le contexte de la dictature brésilienne.
  6. Comment le film utilise-t-il les archives et la technique cinématographique pour créer une ambiance spécifique ? Le film utilise des archives de manière organique pour transporter le spectateur dans l’époque de la dictature. Le tournage en pellicule 35mm et en Super 8, avec des variations de grain, contribue à différencier les époques et à renforcer l’effet immersif. L’usage de l’archive permet aussi de mettre en lumière la vérité historique au-delà de la fiction, tout en apportant une texture et une dimension intime à l’histoire.
  7. Pourquoi le film a-t-il connu un tel succès au Brésil ? Le succès du film au Brésil est dû à plusieurs facteurs. Il aborde un sujet sensible et peu exploré dans le cinéma de fiction brésilien, la dictature militaire. Le public brésilien semble prêt à se confronter à ce passé douloureux. La qualité du film, la performance de l’actrice Fernanda Torres, et la manière dont il résonne avec les problématiques actuelles du pays, ont également contribué à son succès. Malgré l’absence de politique culturelle durant la présidence de Bolsonaro, le film a réussi à mobiliser un large public.
  8. Quelle est la signification du titre « Je suis toujours là » ? Le titre « Je suis toujours là » fait référence à la fois à la persévérance et la résistance de la famille Paiva, et en particulier d’Eunice, dans leur quête de vérité, mais aussi à l’importance de la mémoire dans le présent. Il témoigne que les conséquences des actions passées continuent d’avoir un impact sur le présent et que la vérité ne disparaît pas avec le temps. Le titre souligne la continuité entre la résistance d’Eunice et le combat contemporain pour la démocratie au Brésil, et il indique qu’il ne faut jamais oublier le passé pour éviter de répéter les mêmes erreurs.