Spiritualité, religions, culture, morale et humour en France et au Brésil

Selon les chiffres de 2016, la France compte 66,9 millions d’habitants. De ce nombre, seulement 37 % revendiquent une religion, l’islam étant le deuxième après le christianisme, avec 4,7 millions d’adeptes. Le reste, qui correspond à la majorité, est réparti entre ceux qui se disent sans religion (34%) et les athées convaincus, qui représentent 29% de la population, selon une étude du Gallup International Institute menée dans 57 pays en 2012.

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Le pays compte le plus grand nombre d’athées au monde, ce qui peut s’expliquer par une histoire marquée de façon indélébile par les Lumières. Le mouvement philosophique apparu en France au XVIIIe siècle est au cœur de la création des nouveaux Etats-nations de l’Occident. L’un de ses piliers est la laïcité, qui désigne au sens large la perte de l’influence de la religion sur l’État et la société.

L’avènement des Lumières n’a cependant pas empêché l’émergence du spiritisme, doctrine religieuse et philosophique médiéviste, codifiée par le pédagogue français Hyppolyte Leon Denizard Rivail, sous le pseudonyme Allan Kardec, un siècle après. A cette époque, lorsque les expériences de communication avec les esprits se propagèrent à partir des Etats-Unis, la doctrine aurait conquis un nombre significatif d’adeptes sur le sol français.

Mais la vérité est que le spiritisme n’a guère prospéré dans les siècles qui ont suivi dans ce pays. Pour avoir une idée, dans le registre d’ADES SP - Institutions Spirites au Brésil, il y a 12.209 centres spirites répartis sur le territoire national. En France, berceau de la doctrine, les centres spirites « n’en atteignent pas 10 », comme l’admet la présidente de l’Association Parisienne d’Etudes Spirites (APES), Anita Becquerel. Cependant, elle a besoin de l’existence d’environ 50 groupes formés et/ou en formation.

PARLER TOUTES LES LANGUES

Dans une interview accordée en 2015, publiée sur le Blog Espirita do Bruno Tavares et diffusée sur TV Nova Luz, la coordinatrice de l’APES, la Brésilienne Anita Becqerel, confirme les difficultés pour le développement du spiritisme en France, mais l’attribue à l’environnement du pays et non à une éventuelle persécution, comme certains le laissent entendre dans leurs analyses.

L’institution, qui a commencé comme groupe d’étude en 1993, a le statut de centre spirite et son siège est situé à Vincennes, une ville voisine de Paris. La maison est fréquentée par des Français, des Brésiliens, des étrangers, des réfugiés, des fuyant les guerres et même des musulmans, « avec toute la richesse de sa culture », dit-elle. Nous devons parler toutes les langues, nous devons être ouverts à toutes les connaissances".

Selon Anita Becqerel, beaucoup cherchent du réconfort face au suicide d’un être cher - la France se classe 47ème sur 170 pays pour le nombre de personnes qui meurent chaque année -, d’autres cherchent de l’aide pour des maladies ou des difficultés d’intégration dans le pays. Mais tous sont les bienvenus et invités à assister aux réunions publiques, à comprendre la souffrance et bien sûr à étudier le Kardec.

A Apes ont la même structure qu’un centre spirite brésilien, mais la Maison a peu d’ouvriers spirites. Il est donc difficile de suivre l’ensemble du protocole d’accompagnement spirituel, où selon le cas, les consultations sont personnalisées, comme s’il s’agissait d’une consultation médicale. L’assistance spirituelle est transmise par un travailleur spirituel et le traitement recommande au « patient » d’assister aux conférences, de recevoir des laissez-passer médiumniques, l’ingestion d’eau fluide et la lecture de l’Evangile selon le spiritisme. L’assistance spirituelle est au centre de la doctrine spirite.

DIFFÉRENTES CONCEPTIONS ET PERCEPTIONS

Anita Becqerel souligne que Apes est un centre spirite français et non un centre spirite brésilien. Ils répandent le spiritisme chez les Français. La conception et la perception de la réalité sont différentes, avec des explications très différentes pour des phénomènes qui ne sont pas encore complètement dévoilés, de l’ordre de ceux que les spirites appellent médiumnité.

Sur les défis du mouvement spirite en France, Becqerel dit : « c’est un mouvement spirite en reconstruction, c’est très difficile, parce que ce ne sont pas les facteurs externes qui nous empêchent, ce sont les facteurs internes, c’est le concept même du spiritisme lui-même. Nous avons peu d’éléments communs en dehors de la Doctrine. La Doctrine est la base, mais la conception, c’est différent ».

Le coordinateur rapporte que, sur les 10 centres spirites installés en France métropolitaine, seuls quatre sont dirigés par des Brésiliens. Avec les autres responsables de la coordination des Français, issus d’une culture autre que la culture brésilienne, elle veille à ce que Apes maintiennent une coexistence amicale et respectueuse, grâce à la tolérance de ses différences. "Nous sommes ici avec nos difficultés, avec nos perceptions et notre culture, parce que la France est un grand pays, dit-il.

Elle souligne l’isolement des groupes comme une difficulté supplémentaire. "Ici, nous n’avons pas la tradition d’accepter le travail de l’autre ", se lamente-t-elle. En fait, en France, la tradition veut qu’il existe des institutions dissociées de la religion, ce qui n’empêche pas les groupes bienveillants de faire un travail remarquable, comme les Restos du Cœur : « Le mouvement associatif français est très important, le mouvement associatif français est très solidaire, si vous demandez quelque chose et il a confiance, il donne, il n’est pas un petit individu, il est ouvert » dit-il.

COLUCHE, UN BIENFAITEUR HORS NORME

A l’origine du plus grand réseau de solidarité installé en France, l’humoriste et acteur français Michel Colucci. Fils d’un émigrant italien et d’une mère française, Michel Colucci est né le 28 octobre 1944 et a grandi à Montrouge, en banlieue parisienne. A l’âge de 26 ans, au début de sa carrière, il adopte le pseudonyme « Coluche ».

Revendiquant sa grossièreté, mais selon lui, "sans jamais tomber dans la vulgarité, Coluche montre très tôt un style nouveau et sarcastique pour la liberté d’expression, attaquant notamment les tabous aux valeurs morales et politiques de la société contemporaine. En 1975, il devient célèbre en parodiant un jeu télévisé : Les Schmiblick. Avant 76 ans, il s’est vu confier des rôles de fond au cinéma avant de prendre des personnages plus centraux, comme dans L’aile ou la Cuisse, puis d’occuper le haut des affiches dans les années 80, essentiellement pour des comédies. En 1977, il commence à diriger, en tant que co-directeur de Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine avec Marc Monnet. En 1984, il remporte un César du meilleur acteur pour son rôle dramatique dans Tchao Pantin, de Claude Berri.

Provocateur et agitateur de ses positions sociales, il s’est présenté aux élections présidentielles de 1981 avant de prendre sa retraite, souffrant de pressions et de menaces. Devenu très populaire et apprécié du public, il fonde en 1985 l’association Les Restos du Coeurs, un point d’accueil pour les plus démunis, quelques mois avant de mourir dans un accident de moto.

RESTAURANTS DU COEUR

Reconnus par la loi comme association d’utilité publique, Les Restos du Coeur (en portugais, restaurants du cœur) ont pour particularité le soutien de plusieurs personnalités françaises et, dès le début, d’une vaste couverture médiatique, qui a attiré l’attention des autorités, permettant la création de nouvelles lois et la participation de nombreux bénévoles.

Les Restos du Cœur comprend 11 centres nationaux, 119 associations départementales et plus de 2 100 centres d’accueil. L’aide alimentaire permet l’aide d’urgence, mais elle représente surtout un point de contact privilégié pour l’accompagnement vers l’autonomie. L’an dernier, 135 millions de repas ont été servis par des bénévoles, 71 000 personnes, un nombre encore insuffisant pour répondre à la demande.

L’association aide les personnes dans le besoin avec une campagne d’hiver, qui se déroule de novembre à mars, et une campagne d’été, d’avril à octobre. 882 000 personnes ont été servies en hiver et 422 000 en été. Les bénévoles distribuent des paniers avec une alimentation équilibrée pour cuisiner à la maison, des repas chauds pour les sans-abri, une aide spéciale pour les bébés dans les centres Restos du Coeur et la distribution de produits d’hygiène, entre autres actions.

QUELQUES RÉFÉRENCES

Le grand défi des centres spirites français est de se faire connaître, afin qu’ils puissent se multiplier et continuer le travail de Kardec. Du père du spiritisme, il ne reste pas beaucoup de références en France, contrairement au Brésil, où il est vénéré comme un saint. L’une est sa tombe au cimetière du Père Lachaise à Paris, où se trouve un buste en bronze. Le site est l’un des plus visités et un lieu de pèlerinage pour les Brésiliens.

Dans sa ville natale, un petit hommage repose sur l’un des murs de la Bibliothèque municipale de Lyon. Il s’agit d’une photographie en couleur, que l’on peut lire ci-dessous : "Hippolyte Léon Denizart Rivail, alias Allan Kardec, pédagogue, spiritualiste et codificateur du spiritisme. Né à Lyon, 76 rue Sala, 1804-1869. Dom of the French Spiritist Union and Francophone and the Kardec Association/ 1, rue Docteur Fournier, 37000 Tours - Bicentenary of birth/ Allan Kardec/ 1804-2004.

Un médaillon de bronze, à l’image de Kardec, offert par des spirites du Brésil, est un autre souvenir de lui à Lyon. Le monument est installé sur le trottoir de l’avenue Nord-Sud, attirant les regards des automobilistes et des passants, ce qui surprend certains. Une inscription précise l’identité du personnage. Dans le secteur, à quelques mètres du site, une plaque a été placée en 2004. L’installation du monument, qui a coûté 3 400 euros à la communauté du Grand-Lyon, a fait l’objet d’un article paru le 13 juin 2005 dans le journal Le Figaro intitulé « Un monument aux frontières du réel ».

Mais il y a un endroit où la mémoire de l’encodeur du spiritisme est cultivée dans son pays natal : le Centre Spirite Bron Allan Kardec dans la ville de Bron, qui fait partie de la grande agglomération de Lyon. Le lieu est un lieu de rencontre pour les médiums et les personnes intéressées à connaître la Doctrine ou qui ont besoin d’aide spirituelle. Ils animent des sessions libres en prêtant des voix et des mains, sous forme orale, écrite ou dessinée, pour la communication des esprits.

Selon la trésorière Catherine Perinet, tous les mercredis, la Maison propose deux types de rencontres d’aide spirituelle, ouvertes à tous et permettant aux personnes en difficulté morale ou physique de venir bénéficier des conseils et aussi des prières confiées au groupe de prière. Les samedis, les séances permettent de découvrir des médiums qui psychographent des messages et des médiums de communication orale avec les esprits. En 2007, le Centre Spirite Bron Allan Kardec a reçu la visite du médium brésilien Divaldo Franco, un moment qui reste inoubliable pour ceux qui ont eu l’occasion d’assister à ses conférences.

RESPECT ET LIBERTÉ

Le scepticisme français ne signifie pas que c’est un peuple sans valeurs morales. Mais le plus frappant dans leur personnalité, c’est leur appréciation de la liberté d’expression ; pouvoir entendre « des blagues » et « des conneries » à la télévision est certainement un plaisir qu’ils ne renoncent pas. Ici, on apprend à rire de « tout et n’importe quoi », sans culpabilité.

La notion de respect est particulière et une autre qu’au Brésil, où la presse satirique ne jouirait guère de la même liberté que la presse française, ni à la télévision, ni à la radio, ni sur Internet… et elle ne saurait être différente : leurs histoires - de Brésiliens et de Français - sont loin d’être identiques. Au Brésil, où le spiritisme s’est épanoui comme dans aucun autre pays du monde, le respect est allié à la morale chrétienne. Pour les Français, le respect existe dans sa propre dimension.

Bien sûr, l’humour français ne plaît pas à tout le monde, à l’extérieur comme à l’intérieur du pays, secoué par les attaques successives de ces dernières années. La laïcité et la liberté d’expression ont été mises à l’épreuve en France. Mais ça a toujours été comme ça. Les conflits religieux, les malentendus, les intolérances continueront d’exister et c’est ainsi qu’ils se sont protégés. La France, comme l’Europe, paie un prix pour son passé et pour un avenir qui s’annonce difficile, comme pour la planète.

Avec sa morale chrétienne dominante, le Brésil est également confronté à la question de la religion, mais dans un autre sens. La censure et la discussion sur ce que peut être ou non l’art est à l’ordre du jour, imprégnée de ces valeurs. Sans parler de l’intrusion de la religion dans les affaires publiques, qui représente un réel danger pour la société brésilienne. Le Brésil dispose non seulement d’un groupe religieux au Congrès national, mais aussi d’un réseau de télévision appartenant à une église qui soutient le groupe des membres du Congrès, pour défendre des intérêts qui ne sont pas républicains.

C’est dans ces différents contextes, d’un Brésil colonisé par les Portugais, peuplé de Blancs, d’Indiens et de Noirs, et d’une France qui a précédé des siècles d’histoire, que le spiritisme existe, tout comme le matérialisme. Ce sont des créations de la même culture occidentale, ce sont des philosophies qui peuvent coexister, parce que leurs différences ne sont pas insurmontables, tant que le bon sens règne, bien sûr.

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2020-12-10T00:00:00Z

Voir aussi l’article de Christian Pouillaude à propos de Kardec:

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