Le Brésil Face au Défi Démographique et Sanitaire

Synthèse : Le Brésil Face au Défi Démographique et Sanitaire

Ce document examine la transition démographique rapide du Brésil, passant d’une « nation du futur » jeune à un pays vieillissant confronté à des défis sanitaires et sociaux majeurs. Il analyse en détail les forces et les faiblesses du Système Unifié de Santé (SUS), le rôle du système d’assurance privée, et l’émergence des cliniques populaires, tout en soulignant l’urgence pour les pouvoirs publics d’adapter leurs politiques.

1. Un Brésil Vieillissant à un Rythme Accéléré

Le Brésil, autrefois perçu comme un pays jeune et prometteur, est en train de vieillir « très rapidement », sans avoir eu le temps de s’adapter comme d’autres nations. Cette évolution se produit au sein d’une société « où la majorité des habitants connaît de sérieuses difficultés économiques ou survit dans la pauvreté. »

  • Projection Démographique Clé : « Dans trente ans, le plus grand pays d’Amérique du Sud sera le 6e du monde pour l’importance de la population âgée. »
  • Baisse Drastique des Naissances : Le nombre de naissances est passé de près de 4 millions au début des années 1980 à 2,523 millions en 2023, et devrait passer « en dessous des 2 millions/an dans moins de vingt ans. » Le taux de fécondité est « déjà inférieur au seuil de remplacement de la population (deux enfants par femme). »
  • **Augmentation de la Population Âgée :**Aujourd’hui, 36 millions de Brésiliens (16,85% de la population) ont 60 ans ou plus.
  • « Dans 20 ans, 60,3 millions de Brésiliens (27,4%) feront partie du troisième âge. »
  • Le groupe des plus de 80 ans, « encore insignifiant au début de ce siècle (1,1% de la population) », va doubler d’ici 2040.
  • Fin du « Bonus Démographique » : La période où la population en âge de travailler est prédominante « s’amenuise et s’épuisera dans un avenir pas trop lointain. »
  • Un Défi Ignoré : Le vieillissement « induit surtout d’énormes défis que la puissance publique et l’ensemble de la société sont encore très loin d’avoir pris en compte. » L’article cite Alfred Sauvy : « La démographie, c’est la petite aiguille de l’horloge. On ne la voit pas bouger, mais c’est elle qui indique l’heure. » Trop de décideurs restent « rivés sur le mouvement de la grande aiguille. Ainsi, ils ne préparent pas un avenir qui va arriver vite. »

2. Cadre Légal et Réalité des Personnes Âgées

Bien que le Brésil se soit doté de protections légales pour les personnes âgées, la réalité est plus complexe.

  • **Protections Légales :**La Constitution de 1988 « garantit les droits de toutes les catégories de la population, notamment ceux des seniors. »
  • La « Statut de la personne âgée » (loi de 2003) garantit « des droits de base (droit à la vie, à la liberté, au respect et à la dignité, droit à l’alimentation et à la santé, à l’éducation, à la culture et aux loisirs, etc..). » Elle ajoute « le bénéfice de la protection sociale (notamment la santé), le droit au logement et au transport. »
  • L’État a garanti « l’accès universel à toutes les prestations de santé » et a institué des mécanismes comme l’allocation continue (BPC) pour un revenu minimum.
  • Inégalités Criantes : Malgré un revenu moyen supérieur pour les plus de 60 ans, « les inégalités entre personnes âgées sont considérables. Elles prolongent et amplifient celles qui existaient pendant la période de jeunesse… et durant la vie active. »
  • En 2020, 57% des personnes âgées vivaient avec un revenu inférieur ou égal à deux salaires minimums, et 18% n’avaient aucune ressource personnelle.
  • Quelque 7 millions de personnes âgées (23,3%) devaient rester actives pour survivre.
  • Vieillir au Brésil est une « épreuve particulièrement difficile pour la majorité des personnes et des familles car les institutions et les politiques publiques n’ont pas évolué en fonction de la rapidité de la transition démographique. »

3. Le Système Unifié de Santé (SUS) : Un Géant Engourdi

Le SUS est une réalisation majeure mais souffre de problèmes structurels qui compromettent son efficacité face au vieillissement de la population.

  • **Avancées Majeures :**Le SUS a apporté un « changement radical » en garantissant « l’accès universel et gratuit aux soins » pour tous les Brésiliens, y compris les plus pauvres.
  • Il couvre une gamme étendue de soins, de la prévention aux chirurgies lourdes et aux soins palliatifs.
  • C’est une structure « gigantesque » mobilisant environ 4 millions de professionnels. « S’il s’agissait d’une entreprise privée, le SUS serait le plus grand employeur du monde. »
  • Il a permis des campagnes de vaccination massives, l’accès gratuit aux traitements VIH dès les années 1990, et a joué un rôle crucial dans la réduction de la mortalité infantile.
  • « Le programme de santé familial du SUS couvre tout le territoire national… et offre des soins de santé de base à la population la plus pauvre du pays. »
  • Difficultés Structurelles :« Pour les patients, le SUS est devenu synonyme de longs délais d’attente pour les prises en charge, d’urgences reportées et – parfois – de soins de médiocre qualité. »
  • Financement Insuffisant et Irrégulier : Le SUS a absorbé en moyenne 4,82% du PIB entre 2018 et 2023, ce qui est « à la fois beaucoup et trop peu » par rapport aux recommandations de l’OPS (6% du PIB).
  • Désengagement Fédéral : La part de contribution du gouvernement fédéral a chuté de 45,3% en 2012 à 37,6% dix ans plus tard, reportant une grande partie de la charge sur les municipalités, qui ont pourtant une part plus faible des recettes fiscales.
  • Pénuries et Répartition Inégale des Médecins : Le nombre de médecins pour les utilisateurs du SUS est « 3,9 fois moins important » que pour ceux ayant un plan de santé privé. De plus, « Dans certaines régions du pays, le ratio médecins/patients est inférieur à celui des pays africains, tandis que dans d’autres, il est supérieur à celui des pays de l’Union européenne. »
  • Lourdeurs Bureaucratiques et Surcharge : Dispensaires et hôpitaux sont surchargés, et il y a une pénurie de ressources humaines.

4. L’Assurance-Santé Privée en Crise

Le système privé, bien que privilégié par les classes aisées, rencontre également des limites et n’est pas une solution universelle.

  • Attrait pour les Classes Aisées : Environ 51 millions de Brésiliens (dont 7,9 millions de personnes âgées) bénéficient de contrats d’assurance-santé. « Avoir un plan de santé, c’est un des rêves de tout Brésilien. » Ces plans offrent un accès rapide à des soins spécialisés et de bonne qualité.
  • Coût Croissant et Problèmes de Viabilité : « Néanmoins, le coût que les contractants doivent assumer est de plus en plus élevé, » surtout pour les plus de 60 ans (500 à 2 200 BRL par mois en 2024).
  • Les plans de santé couvrent 51 millions de Brésiliens mais injectent plus de 65% des fonds totaux de la santé, tandis que le SUS, qui dessert plus de 150 millions de personnes, ne dispose que de 35% des ressources.
  • Le vieillissement des assurés et l’innovation technologique augmentent les coûts, rendant les réajustements tarifaires « incontournables, » ce qui peut entraîner une « diminution du nombre de clients. »
  • Le système est vulnérable aux crises économiques, entraînant des faillites d’organismes d’assurance. « Plusieurs organismes d’assurance opèrent en déficit. D’autres s’accrochent parce qu’ils parviennent encore à afficher des résultats positifs. Des compagnies d’assurance étrangères envisagent de quitter le pays ou cherchent des repreneurs assez fortunés pour couvrir leurs pertes. »
  • Pas une Alternative Universelle : Ce système « ne représente pas de véritable alternative à un SUS déjà surchargé et vulnérable, » surtout au vu du profil démographique futur du pays.

5. L’Innovation du Marché : Les Cliniques Populaires

Face aux lacunes des systèmes public et privé, un nouveau modèle de soins de santé abordables a émergé.

  • Croissance Explosive : Les cliniques populaires ont « multiplié dans le pays depuis dix ans (progression de 200 % entre 2018 et 2022). »
  • Avantages Clés :Accessibilité et Coût Abordable : Elles proposent des consultations et examens de base à des prix compétitifs (60 à 140 BRL pour une consultation générale, 60 à 170 BRL pour une spécialisée avec carte de fidélité). Elles « bénéficient d’économies d’échelle » grâce à leur gestion et à des coûts de fonctionnement inférieurs.
  • Proximité Géographique : Elles s’implantent dans des zones très fréquentées par les classes populaires, facilitant l’accès.
  • Rapidité : « Alors qu’il faut parfois plus de 60 jours pour obtenir un rendez-vous avec le SUS, les cliniques populaires ne mettent pas plus de 24 heures en moyenne. »
  • Qualité des Soins : Pour attirer des professionnels, elles reversent « entre 50 et 60 % de leur chiffre d’affaires, » offrant des salaires plus attractifs que de nombreux hôpitaux publics.
  • Fidélisation de la Clientèle : Elles vendent des cartes de prestations offrant des réductions. « Ils seraient 40 millions aujourd’hui à solliciter les services de ces cliniques et à acheter régulièrement des cartes de fidélité. »
  • Nécessité de Réglementation et de Soutien Public : Le modèle n’est pas parfait (conflits d’intérêts possibles entre diagnostic et examens). L’État doit « mieux réglementer ce secteur innovant, sans en casser la dynamique. »
  • L’État n’a « pas d’autre choix que de contribuer à l’essor des cliniques populaires en autorisant par exemple la création de nouveaux plans de santé à couverture limitée qui ne rembourserait que les consultations, une série d’examens de base et les services ambulatoires. »
  • Un soutien gouvernemental pour ces nouveaux plans permettrait aux plus modestes d’accéder à ces services et désengorgerait le SUS.

6. Perspectives et Recommandations

L’adaptation du système de santé brésilien à sa nouvelle réalité démographique est un impératif.

  • Augmentation des Budgets Publics : « Il s’agit d’abord de porter les budgets publics à la hauteur de l’enjeu. Le gouvernement fédéral est ici le premier concerné. »
  • Renforcement du SUS : Le SUS doit être soutenu pour se concentrer sur « les pathologies les plus complexes, les services les plus sophistiqués mobilisant des technologies de pointe. » Cela implique « le renforcement des ressources budgétaires mises à disposition des institutions publiques de santé, l’amélioration des conditions de rémunération et de travail des personnels, la débureaucratisation de santé publique, la reprise des investissements en capacités de soins. »
  • Intégration des Cliniques Populaires : Le développement des cliniques populaires doit être encadré et encouragé, car elles sont « désormais indispensables pour développer la prévention et le diagnostic précoce, » surtout pour une population âgée qui se déplace difficilement.
  • Conséquences de l’Inaction : « Si rien n’est fait, le scénario qui prévaudra dans moins de vingt ans n’est pas difficile à imaginer. » Une minorité de seniors aura accès à des soins de haute qualité, tandis que la majorité dépendra d’un « SUS délabré et les cliniques populaires incapables répondre à une demande croissante. »

Le Brésil doit impérativement se préparer aux pathologies courantes du troisième âge (maladies osseuses, perte auditive, diabète, maladies neuro-dégénératives, etc.) et revoir sa stratégie d’universalisation des soins de santé, en observant la « petite aiguille chère à Alfred Sauvy. »